Hervé Le Bras, Institut National d’Études Démographiques (INED)
Deuxième jour sur le thème de la France inégale avec les cartes d’Hervé Le Bras : aujourd’hui, les inégalités de revenus et les territoires pauvres.
Espaces des riches, espaces des pauvres
Revenu individuel médian, 2013. Cliquer dans la carte pour vous déplacer et zoomer avec la roulette.
Les revenus des Français obéissent à une stricte logique spatiale. Faibles dans les communes du rural profond, ils augmentent quand on se rapproche des grandes agglomérations où ils culminent dans la première couronne, puis chutent au centre où coexistent très riches et très pauvres. Maints détails méritent l’attention, que l’on peut observer en zoomant sur la carte. Ainsi le groupement des communes riches, soit à l’ouest à Paris et à Bordeaux, soit au nord, au bord de l’Erdre à Nantes. Ou bien l’accumulation de richesse autour de Reims, en Alsace et en Bourgogne de Dijon à Châlon, pays de vignes.
Les retraités aisés se sont installés sur les côtes de l’Atlantique. Le long des frontières avec l’Allemagne et la Suisse, les travailleurs frontaliers assurent à leurs communes un revenu médian digne des quartiers bourgeois des grandes villes. À une époque où les agriculteurs constituent moins de 2 % de la population, la différence de niveau de vie entre villes et campagnes demeure très élevée.
Revenus : vers un rattrapage des campagnes ?
Évolution des revenus entre 2001-2008 et 2008-2013. Appuyer sur les boutons pour passer entre les deux.
12 ans d’évolution des revenus en France
Évolution du revenu individuel médian (en pourcentage), entre 2001 et 2013.
A priori, l’écart entre les revenus des urbains et des ruraux devait continuer à augmenter en raison de la concentration des compétences et des emplois de haut niveau dans les villes. Or, depuis 2001, on constate l’inverse. Le revenu moyen a augmenté de 14 % (hors inflation qui s’élève à 22 %). Mais il n’a progressé que de 8 % dans les communes de plus de 20 000 habitants alors qu’il a gagné 18 % dans les communes de moins de 5 000 habitants qui sont aussi celles où la population a le plus cru sur la période.
Les plus faibles progressions s’étendent au-delà des villes à l’ensemble du bassin parisien, à l’Alsace et à la région lyonnaise qui sont les zones économiques les plus dynamiques. La redistribution a donc mieux résisté à la crise que la production. Le mouvement est cependant plus ancien car la carte de la progression des revenus entre 2001 et la crise de 2008 est très proche de son analogue entre 2008 et 2013. Seul gros écart, les zones où vivent les frontaliers travaillant en Suisse et au Luxembourg qui ont profité des salaires dans ces deux pays que la crise n’avait pas frappés.
Géographie de la pauvreté
Proportion de personnes dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian.
Inégalités territoriales
Rapport de revenus entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres.
L’inégalité de revenus atteint d’amples proportions sur le territoire français. La pauvreté mesurée par la proportion de personnes dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian concerne moins de 8 % des personnes dans presque tout le grand Ouest, en Alsace, en région Rhône-Alpes, en Ile de France et en Aquitaine. En revanche, la proportion dépasse souvent 15 % dans le Languedoc-Roussillon, en Champagne-Ardenne, dans le Nord et la Picardie, en Corse. Elle est aussi plus fréquente dans les petites villes et certains quartiers des grandes agglomérations. Assez logiquement les inégalités locales (communales) de revenu suivent la même géographie.
Pour les mesurer, on calcule à partir de quel revenu on fait partie des 20 % les plus pauvres et à partir de quel, des 20 % les plus riches. Le rapport de ces deux seuils donne une bonne indication de l’inégalité locale. Il est parfois inférieur à 2 dans l’Ouest, mais supérieur à 4 dans le Nord-est ou en Languedoc-Roussillon. L’inégalité des revenus est aussi plus marquée encore que la pauvreté dans les grandes villes où les plus riches voisinent avec de très pauvres.
Hervé Le Bras, Démographe, directeur d’études à l’EHESS et chercheur émérite, Institut National d’Études Démographiques (INED)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.