“Les petites cartes du web. Approches critiques des nouvelles fabriques cartographiques”, Matthieu Noucher, editions ENS, coll. Actes de la Recherche.
Cette recension se construit en 3 parties séparées pour permettre au lecteur géographe ou enseignant la géographie de mieux se les approprier ; elles forment bien évidemment un tout sous la forme de 3 chapitres dans le livre de l’auteur.

Géographe, Matthieu Noucher est chercheur au CNRS (laboratoire PASSAGES, Bordeaux). Il s’intéresse à l’évolution des représentations de l’espace à travers l’analyse critique des nouvelles façons de produire, utiliser et diffuser l’information géographique numérique.
Ses travaux On se reportera au site http://patiencesgeographiques.org pour une bibliographie enrichie du texte. croisent via la circulation des cartes institutionnelles, commerciales, participatives, radicales, la géomatique, les géographies de l’information et de l’environnement et la cartographie critique.
A ce titre, ils devraient permettre aux enseignants soucieux d’approfondir leur réflexion sur les usages de la “carte’ en classe de mieux comprendre les enjeux de ce qui se joue dans leurs pratiques et dans la transmission à ceux que l’on a appelé un peu légèrement digital natives tant le manque de réflexion sur leurs usages numériques est grande.
Autant dire que la formation des enseignants en la matière est ici comme dans leurs disciplines un enjeu de société majeur.

Dans la préface, Gilles Palsky Voir Bio : http://www.parisgeo.cnrs.fr/spip.php?article155&lang=fr souligne d’entrée l’omniprésence “envahissante” de la carte sur le web, ces innombrables “petites cartes” – vite faites et mal faites ? Les moyens d’accès se simplifiant toujours plus et les non-spécialistes s’immisçant là comme ailleurs dans ce qui leur était il n’y a pas si longtemps GP parle d’`histoire déjà ancienne qui remonte à près d’un quart de siècle`. On peut néanmoins être impressionné de la rapidité de l’évolution en question… le domaine réservé des professionnels et qui s’opposeraient au grand récit de la représentation du monde par les cartes officielles et institutionnelles qui ont rythmé les grandes circum-navigations dès l’Antiquité et surtout depuis le XVe siècle.

Carte des côtes de la France corrigée par l'Académie des Sciences - Relevés de César-François Cassini CC Wikipedia
Carte des côtes de la France corrigée par l'Académie des Sciences - Relevés de César-François Cassini CC Wikipedia

Au grand récit s’opposent ou se juxtaposent plutôt – telle une vision “kaléidoscopique” – des quantités de petits récits qui nous obligent à analyser ces pratiques nouvelles. GP constate le peu de recherches francophones Retard francophone ou plutôt français pour la réflexion sur le numérique, lié à une méfiance séculaire envers le monde anglo-saxon ? Citons malgré tout Serres, Stiegler, Alexandre… concernant cette “néogéographie” et l’intérêt en conséquence du livre de MN.

Si MN se livre à une typologie de la galaxie des “petites cartes”, c’est pour placer ensuite au coeur de son propos la question des pratiques et “l’approche critique de la fabrique cartographique des petites cartes du web” : le pari est ici de renouveler la pensée critique en cartographie que John Brian Harley a initiée au milieu des années 90, puis à travers l’exemple de la Guyane de montrer “sans naïveté ni irénisme” l’intérêt de cette “contre-cartographie”.

Chapitre 1 La fin des grands récits cartographiques et la profusion des petites cartes :

“Toute carte est un double spectacle : celui du territoire représenté, et celui des moyens mis en oeuvre pour produire cette représentation”.
Henri Desbois, La carte et le territoire à l’ère numérique, 2015, p. 58

Passage de témoin entre 2 mondes qui se côtoient encore mais pour combien de temps ? Les grands récits cartographiques appartiennent à l’histoire qui associait exploration de mondes inconnus et prouesses technologiques ; or l’histoire – récente – de la cartographie numérique et des systèmes d’informations géographiques, s’il elle abandonne les grandes aventures, continue sous d’autres formes les progrès technologiques.

L’Institut Géographique National (IGN) va alors produire des fonds de plans numériques à la fois scientifiques et institutionnels, mais la simplification de la technologie fait exploser la production de données géographiques publiques sans que les organismes (SIG) créés se soucient d’une quelconque cohérence commune…
C’est dans ce contexte qu’arrive en 2006 GoogleMaps. Les grands groupes américains de l’internet ont compris l’intérêt de mettre en synergie l’accès à la recherche pour les utilisateurs de contenus et leur indexation spatiale.
La découverte par les utilisateurs du web d’un tout autre paysage que celui qui leur était donné par les cartes murales de l’école ou les cartes d’Etat major des randonnées en famille est un grand moment de l’histoire glorieuse de Google. De portail “moteur de recherche” porté par un algorithme – PageRank – autant performant que mystérieux, la société californienne se mue en un pourvoyeur de rêves géographiques nouveaux à toutes les échelles du “local familial” (ma maison, ma rue) au planisphère.
Conséquence indirecte, le fond cartographique, devenu pour le citoyen interface des dispositifs de recherche, voit ses caractéristiques historiques (statique, égalitaire, exhaustif et légitime institutionnellement Extrait de la note 2003-CNIG-085 du document de doctrine sur la notion de référentiel géographique par le Conseil National de l’Information Géographique : `les données (…) sont placées sous la responsabilité d’une structure publique (…). Les utilisateurs accordent aux données de référence un niveau de confiance très élevé, lié à la légitimité de l’organisme responsable (…). Elles offrent une couverture exhaustive du territoire. ) en concurrence avec la possibilité de produire un environnement cartographique dynamique et personnalisé.

Les grands récits cartographiques auront donc été complétés puis contournés par la production pléthorique de ce que l’auteur nomme “petites cartes du web”…