Itinéraires asiatiques
1er septembre 2016

Des enjeux du château d’eau himalayen au Bhoutan, pays du bonheur brut, inventeur d’un nouvel indicateur pour mesurer le bien-être des populations sans le réduire au PIB, ces itinéraires asiatiques sont à la fois une initiation à l’Asie, à travers ses populations, son économie et sa place dans le monde et une invitation au voyage et à la découverte des mondes asiatiques à travers la lecture de cartes originales et inédites.
Avec plus de 120 cartes et graphiques, cet ouvrage va susciter la curiosité du lecteur en lui faisant découvrir l’Asie à travers sa géographie physique, l’impor-tance de ses fleuves, de ses montagnes et de ses plaines sur la vie des populations; en mobilisant les ressorts de l’histoire pour expliquer et comprendre les tensions du présent ; en se projetant dans le futur, en suggérant la manière dont l’Asie est en train d’influen-cer et de transformer le monde.

Le livre est construit autour de trois idées forces qui présentent l’Asie sous toutes ses facettes : les visages de l’Asie, les tensions géopolitiques du continent et les forces de changement qu’il porte.

  • I. Les visages de l’Asie

Le portait démographique, urbain, économique, social de l’Asie et de ses pays, pour comprendre l’état du continent, ses forces (sa population, sa jeunesse, son dynamisme), ses faiblesses (corruption, pollution, inégalités) et les différents modèles à l’œuvre, du Japon au Laos, de l’Inde à Singapour en passant par la Chine et le Bangladesh.

  • II. L’Asie sous tension

La cartographie des conflits qui traversent l’Asie, des crises anciennes aux tensions actuelles, pour comprendre les rapports de force, les violences et les guerres potentielles qui s’y préparent, des îles de la mer de Chine au Cache-mire, du Pakistan à la Corée du Nord, des ressources en eau de l’Himalaya aux souffrances infligées aux minorités tibé¬taine, karen, rohingya…

  • III. L’Asie en mouvement

Le mouvement d’un continent en train de façonner le monde demain, en ma-tière énergétique, environnementale et culturelle. De la conférence de Bandung (Indonésie), en 1955, qui marquait l’irrup-tion du Tiers-Monde sur la scène interna¬tionale, à l’exposition universelle de 2010 qui a fait de Shanghai la capitale de ce début de siècle, l’Asie se veut désormais source d’inspiration du monde.

Introduction

« ASIE » !

Ce terme viendrait il s’imposer comme une évidence géographique, doublé d’une sorte de vérité historique ? Pourtant, à explorer cet ensemble de territoires et de populations que l’histoire, la géographie, les langues et les religions prennent visiblement un grand plaisir à diviser, on peut se demander ce qui, dans la réalité, définit l’Asie.
Avec le paramètre de la géographie, on voit que contrairement au continent africain, clairement bordé, lui, par trois mers et deux océans, l’Asie n’a pas d’unité continentale nettement délimitée. De quelle Asie parle- t-on au juste ? Celle de la « civilisation du riz » que décrivait Pierre Gourou? De « l’Empire des steppes » évoqué par René Grousset ? L’Asie comme un monde – “the world of Asia” – telle que la voyait le Singapourien Lee Kuan Yew ? Ou alors, est-il plus géographiquement exact de parler l’Eurasie, au bout de laquelle on trouve la petite péninsule européenne qui, en rien, n’est un « continent » ?
De toute évidence, le seul critère géographique ne peut suffire pour porte d’entrée. Pourrait-il s’agir alors d’une unité de civilisation, fondée sur d’éventuelles « valeurs asiatiques » affirmées par plusieurs hommes politiques malaisiens ? Il est simple d’opposer à leur affirmation la diversité des civilisations brahmanique, chinoise, mongole, japonaise ou encore la civilisation maritime des archipels. Sans même parler de la grande diversité anthropologique des populations asiatiques.
A leur tour, les tensions de la région rappellent que la cohabitation est souvent difficile au sein de nombreux États d’Asie. Car là coexistent d’innombrables groupes ethnolinguistiques ; des religions multiples, tel l’animisme, le bouddhisme, le confucianisme, le shintoïsme, l’hindouisme, l’islam, le christianisme. D’ailleurs, si les religions du livre se sont implantées dans cette région par les conquêtes marchandes, les armes soutenant les victoires militaires, puis les prosélytismes missionnaires venant conforter ces dernières, les autres cultes en sont bien tous originaires, soulignant de nouveau que les « asiatiques » ne possèdent pas de racine civilisationnelle unique.
L’Asie ne se dessine pas non plus dans un champ démographique spécifique puisque la région abrite à la fois les deux Etats les plus peuplés au monde, la Chine et l’Inde ; d’autres qui le sont bien peu comme le Bhoutan ou le Timor-Oriental. Tandis que le Japon et la Chine vieillissent très vite, l’Inde, elle, se range parmi les jeunes pays de la planète. Enfin, c’est aussi en Asie que l’on rencontre les plus forts taux d’urbanisation au monde, mais aussi les plus vastes régions rurales, agricoles et non mondialisées.
Pour mieux la cerner et en repérer les contours, ne faudrait-il quitter l’Asie pour aller la regarder d’ailleurs. Depuis l’Europe, l’Asie peut apparaître sous les traits d’un « Orient » riche, culturel, un monde étranger, voire exotique, dont on situe moins bien les marches occidentales que les confins orientaux, au bord du Pacifique. Il faut dire que pour les Européens, définir là où commence l’Asie imposerait aussi de décider là où l’Europe s’arrête…
Regardée du monde arabe cette fois, l’Asie présente au moins trois visages distincts : celui des commerçants indiens et pakistanais, celui des investisseurs et des bâtisseurs chinois de Taiwan, de Singapour, de Hong Kong, de Chine continentale ; celui de la main-d’œuvre bon marché et mal traitée, importée des Philippines, du Bangladesh, du Népal, du Sri Lanka ou d’Indonésie.
Les découpages des institutions internationales ajoutent à la confusion ! Selon la Division de la population des Nations-Unies, les pays du Moyen-Orient sont dits «d’Asie de l’Ouest » tandis que les Etats Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, et Turkménistan, sont en « Asie centrale ». En revanche, le découpage géo-administratif du Fonds monétaire international, le FMI, rattache ces Etats d’Asie centrale au monde ex-soviétique via l’inexistante Communauté des États indépendants (CEI) !
Et si l’on a envie ensuite d’aller voir du côté de la Lloyds de Londres, du Département d’Etat américain, des compagnies internationales Air France, Apple ou Exxon, on constate alors que l’Asie prend encore d’autres enveloppes qui renvoient à leur tour à des réalités centrifuges.

C’est donc à dessein que ces Itinéraires Asiatiques ont voulu partir d’un autre paramètre, ont choisi d’emprunter une voie parallèle, pour repérer en Asie une autre unité : celle du dynamisme économique.
Si l’on considère en effet l’espace allant de la frontière occidentale du Pakistan à l’ouest à la frontière orientale des Philippines à l’est, et de la plaine de Mongolie au nord à l’Ile de Nias dans l’archipel indonésien au sud, on s’aperçoit que tous les pays de la région – Corée du Nord mise à part-, affichent des taux de croissance annuels supérieurs à 4 % voire à 5%. Si l’on ajoute à cela que dans la plupart de ces pays, ces taux de croissance se maintiennent depuis presque vingt ans, on mesure pourquoi et comment le centre du monde s’est progressivement déplacé, délaissant peu à peu l’espace transatlantique.
Alors que les “grandes découvertes” du XVIe siècle, portées par le Prince catholique lusitanien Henri le Navigateur avaient élargi un monde centré sur la Méditerranée ; alors que la puissance économique et militaire des Européens à partir du XVIIIe siècle leur avait permis de placer une partie de l’Asie sous leur domination ; alors que le XXe siècle, surtout dans sa deuxième moitié, avait accentué la prédominance des échanges entre l’Europe et l’Amérique, cette aube du XXIe siècle nous transforme en témoin de ce basculement du monde vers un monde asiatico-centré, tourné vers l’océan Pacifique.
Longtemps prisonniers des jeux coloniaux autour des frontières, puis des luttes de libération nationales, et enfin des crises de la guerre froide, les pays d’Asie auront donc dû attendre les années 1990 : pour reprendre le cours de leur Histoire et accélérer le pas de leur développement économique ; pour préférer, à leur traditions impériales, monarchiques, communistes ou autoritaire, des régimes d’ouverture voire des régimes démocratiques ; pour être gagnés eux aussi par la mondialisation, puis par les tensions sociales et environnementales qu’elle alimente.
Sans prétendre à l’exhaustivité, la première partie de ces « Itinéraires asiatiques » explorent de nombreuses facettes de l’Asie : démographiques, politiques, économiques, énergétiques, sociales et environnementales, qui ensemble, contribuent à façonner le monde de demain.
Dans une deuxième partie, l’étude des conflits latents, des violences envers les minorités, des nouveaux jeux d’alliances, des guerres possibles et des budgets de défense constamment à la hausse, tous ces éléments aident à repérer les sources de déstabilisation possible.
Dans une troisième partie enfin, ces « Itinéraires asiatiques » s’attachent à décrypter les forces de changement et les logiques d’inertie à l’œuvre dans une région qui, d’un côté, donne le pas à la marche du monde, et de l’autre, absorbe massivement des influences culturelles et politiques qui leur sont étrangères.
Le parcours géographique de ces itinéraires se concentre sur une zone allant du Japon à l’est à l’Afghanistan à l’ouest ; de la Chine et de la Mongolie au nord à l’Indonésie et aux Maldives au sud. Pour autant, et comme dans tout « vrai » voyage, on constatera qu’il n’hésite pas à dévier de sa route, pour aller voir ici du côté de l’Asie centrale, et là du côté de l’Océanie.
Des voyages en Asie ? J’ai eu la chance d’en faire de très nombreux, d’émouvants, de passionnants, des marquants, des longs, des rapides, porté par une très forte et très précoce curiosité pour ces peuples, ces paysages, pour cette région, ses histoires, son Histoire. Atteint depuis l’âge de 20 ans d’un net tropisme asiatique, j’ai, à force d’itinéraires – humanitaires, professionnels ou sentimentaux -, visité, séjourné, voire travaillé dans tous les pays que ce livre explore – à l’exception de la Mongolie- .
Lorsque l’avion se pose dans l’un des aéroports de cette région, j’ai depuis toujours l’impression de rentrer chez moi ! Un chez moi dont je reconnais les odeurs, les couleurs, les fleuves, les mouvements, les peuples bien sûr, leurs histoires tragiques ou douces, mais aussi les futurs qu’à présent ils préparent. Des futurs si déterminés qu’ils réinventent les rapports de force internationaux, qu’ils les déplacent sur des champs nouveaux, ouvrant enfin l’ère tardive mais réjouissante des décolonisations mentales.

Jean-Christophe Victor